Une Europe au niveau de nos ambitions?

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Des propositions qui laissent la situation actuelle pratiquement inchangée. Et le risque du même mécanisme pervers qui a généré la crise de la dernière décennie.

Tout citoyen qui se soucie de l’union de l’Europe ne peut qu’avoir lu avec intérêt et espoir le récent article publié dans le Financial Times par les Présidents de la France et de l’Italie, MM. Macron et Draghi, sur la nécessité de changer les règles fiscales européennes. Il ne s’agit pas d’une reconnaissance tardive des échecs passés des politiciens et des économistes qui ont chanté les louanges de règles “trop obscures et trop complexes” qui ne “donnent pas la priorité aux dépenses publiques essentielles pour l’avenir et pour notre souveraineté, y compris les investissements publics”, mais plutôt d’un engagement politique important visant à “contribuer à notre ambition collective d’une Europe plus forte, plus soutenable et plus juste”.

L’article affirme que “les nouvelles propositions mériteront un débat approfondi, à l’abri de toute idéologie, dans le but de mieux servir les intérêts de l’UE dans son ensemble” et renvoie à un essai technique rédigé par quatre économistes, trois italiens et un français. Accepter la demande d’approfondir la discussion est essentiel pour l’avenir de l’Europe.

En résumé, les quatre économistes proposent une règle apparemment similaire à la “règle d’or”, qui exclut les investissements publics du calcul du déficit correspondant afin de les favoriser, mais avec au moins deux différences. La première différence, potentiellement positive, est qu’elle permet un traitement spécial également pour ce qu’on appelle les “dépenses futures”, c’est-à-dire les dépenses courantes telles que les subventions aux travailleurs qui perdront leur emploi en raison de la transition écologique.

Ce type de dépenses mérite un examen approfondi ailleurs. La seconde, en revanche, parce qu’elle ne fait qu’atténuer (légèrement) le rythme de réduction du quotient dette publique/PIB vers 60 %, maintient les pires éléments du pacte budgétaire actuel (le Fiscal Compact), rendant la proposition incapable de relancer l’Union européenne, la reléguant à rester faible, moins soutenable, injuste, et donc finalement plus vulnérable aux troubles sociaux et sujette au souverainisme sécessionniste, comme elle l’a été au cours de la dernière décennie.

Plus faible parce qu’il s’agit d’une proposition qui ne récupère pas d’espace pour une politique fiscale anticyclique (qui, dans la situation de faiblesse actuelle, devrait être expansive, comme celle des États-Unis) mais qui confirme au contraire l’orientation fiscale actuelle, en la rendant à peine moins austère. Par exemple, l’Italie prévoit déjà de mettre en œuvre des politiques incroyablement austères (en raison des règles qu’elle souhaite à juste titre éliminer!) pour ramener le déficit de 9,4 % du PIB à 3,3 % en 2024.

La proposition des 4 techniciens laisserait cette situation pratiquement inchangée: “cette (nouvelle) règle impliquerait une rapidité d’ajustement des quotients d’endettement-PIB en fonction des projections budgétaires des États membres dans les années à venir. En particulier, les déficits des plans budgétaires actuels sont inférieurs à ceux requis par (notre) règle de moins de 0,3 point de pourcentage du PIB, tant en 2023 qu’en 2024”. 0,3 % de PIB en moins équivaut – pour l’Italie – à une décote d’austérité de 5 ou 6 milliards d’euro par an, trop peu pour être compatible dans ce contexte macroéconomique avec les ambitions exprimées par MM. Draghi et Macron.

Moins soutenable car le plan ne prévoit pratiquement aucune incitation à l’investissement public pour les générations futures. Si les “dépenses privilégiées” souhaitées et à mobiliser étaient en fait de 20 milliards d’euro, la récompense serait de réduire la vitesse d’ajustement de la dette, libérant des ressources dans le budget de l’année prochaine de … 600 millions d’euro! Ainsi, dans le cas de l’Italie, consacrer 1% du PIB aux investissements futurs reviendrait à être autorisé à effectuer 0,03% de PIB de réduction de dette en moins! Ces chiffres sont si minimes qu’ils sont hors de propos et incompatibles avec une réforme courageuse comme celle que visent les deux Présidents.

Si la soutenabilité doit être comprise comme la capacité de notre continent, par le biais de ses règles budgétaires, à devenir plus stable en diminuant le quotient dette publique/PIB, nous savons maintenant très bien (pour l’avoir vécu en Italie) ce qui fait croître ce quotient: le manque de croissance dû à l’austérité. Selon les nouvelles règles proposées, si un pays fixe son objectif de réduction de la dette par rapport au PIB à une valeur donnée, un niveau inférieur du taux de croissance du PIB (en raison d’une crise, par exemple) se traduirait immédiatement par des niveaux plus élevés (austères) d’excédent primaire à atteindre.

En d’autres termes, il s’agit du même mécanisme pervers qui a généré la crise de la dernière décennie : plus nous sommes dans une mauvaise passe en termes d’économie et d’emploi, plus la règle nous pousse à appliquer des politiques fiscales austères, nous entraînant dans le cercle vicieux

Gustavo Piga

Professor of Economics