Négociation collective et solidarité nationale face au chômage en France.

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L’examen des dispositifs adoptés face à la crise de l’emploi conduit à mettre en cause les analyses dualistes du marché du travail, l’opposition entre insiders et outsiders ou celle entre marché primaire et marché secondaire.

Une critique souvent adressée au système français de négociation collective est qu’il répondrait à une logique de protection des insiders et laisserait à l’Etat la charge des outsiders. Une position constamment tenue par le patronat et souvent reprise par les syndicats affirme la légitimité et la nécessité d’un partage des responsabilités entre d’une part, les fonctions qui relèvent d’un financement contributif assis sur la masse salariale et donc de la négociation collective et, d’autre part, celles qui reposent sur la solidarité nationale et donc sur un financement par l’Etat. Il est instructif d’observer les moments où le partage des responsabilités est remis en question sous l’impact de chocs exogènes à la sphère de régulation sociale : les décisions prises par les différents acteurs révèlent alors la conception qu’ils ont de leurs responsabilités respectives. La récession économique qui éclate en 2008 constitue un exemple significatif du fait de la brutalité et de l’ampleur de son impact.
Nous limitons ici l’analyse aux mesures adoptées pour faire face à la croissance du chômage . Elles concernent principalement l’accompagnement des chômeurs, l’indemnisation du chômage stricto sensu, les reclassements après licenciements économiques et le chômage partiel.

1. L’accompagnement des chômeurs

Dans ce premier domaine, l’initiative revient totalement au gouvernement; elle est antérieure à l’éclatement de la crise.
La loi du 13 janvier 2008 créée un nouveau service public de l’emploi aux compétences élargies (Pôle emploi) ; il assure la quasi-totalité des mesures d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Une conséquence majeure en est la disparition de certains dispositifs jusqu’alors réservés aux seuls bénéficiaires du régime paritaire d’assurance chômage (Unédic). Tous les demandeurs d’emploi ont désormais les mêmes droits dans ces domaines, ce qui constitue un facteur positif de réduction des inégalités. Les changements intervenus dans les dispositifs d’accompagnement des demandeurs d’emploi ont donc tendu à réduire les inégalités dont étaient victimes les chômeurs non couverts par le régime d’assurance.
L’impact de la crise se manifeste d’une autre manière. Il naît de l’engorgement de Pôle emploi et de la baisse de qualité de l’accompagnement qui en résulte et qui frappe plus fortement les demandeurs d’emploi les plus en difficulté.

2. L’indemnisation du  chômage

Longtemps limité au domaine de l’assurance chômage, le débat sur l’indemnisation s’élargit, fin 2009, aux responsabilités de l’Etat du fait de l’acuité du problème des « fins de droits ».

L’assurance chômage
L’ANI (accord national interprofessionnel) du 23 décembre 2008 modifie le régime paritaire d’indemnisation du chômage. Sous le seul aspect qui nous intéresse ici, celui de l’impact sur les inégalités, ses résultats sont complexes.

• L’introduction d’une durée d’indemnisation égale jour pour jour à la durée de cotisation (entre un plancher et un plafond) engendre, selon les catégories de chômeurs, des effets d’allongement ou de restriction des droits à indemnisation. L’effet négatif se concentre sur certaines catégories qui bénéficiaient de durées d’indemnisation relativement longues. C’est l’un des principaux arguments avancés par les syndicats qui refusent de signer l’accord.

• La réduction de six à quatre mois de la durée minimum de cotisation pour ouvrir droit à prestations constitue une indiscutable avancée au bénéfice des travailleurs les plus précaires.

• En ce qui concerne le chômage saisonnier, les dispositions restrictives introduites par un ANI de 2005 sont supprimées.
Sans porter ici un jugement d’ensemble sur l’ANI du 23 décembre 2008, soulignons que, du point de vue des droits à l’assurance, il va dans le sens d’une réduction des inégalités entre travailleurs stables et travailleurs précaires puisque, dans le cadre d’un taux de cotisation inchangé, il réduit les droits d’une fraction des salariés relativement stables au bénéfice des précaires et des saisonniers.

Les minima sociaux
Un autre changement majeur est intervenu avec la création du RSA (revenu de solidarité active) qui entre en vigueur le 1er juin 2009 et qui constitue de facto un nouveau régime d’indemnisation du chômage et du sous-emploi. Centré sur l’incitation à la reprise d’emploi, le RSA s’insère dans le cadre prégnant des politiques d’activation des chômeurs et des inactifs. Une innovation essentielle du RSA, relativement aux minima sociaux auxquels il se substitue, est de poser le principe que ses bénéficiaires sont soumis à l’obligation de recherche d’emploi.

Les chômeurs en fin de droits
La question des responsabilités respectives des différents mécanismes d’indemnisation est une nouvelle fois posée à propos du problème des chômeurs en fin de droits. La perspective de l’épuisement des droits à l’assurance pour plus d’un million de chômeurs au cours de l’année 2010 relance le débat. Il s’agit d’une illustration typique des débats sur le partage des responsabilités entre Etat et partenaires sociaux.

- Au départ, le patronat affirme que le problème des fins de droits est «de la compétence exclusive du gouvernement ».
- Les syndicats adoptent des positions différentes selon qu’ils demandent une prolongation des droits à l’assurance chômage paritaire ou l’élargissement de différents dispositifs d’aide publique.
- Le gouvernement estime d’abord que « l’indemnisation des chômeurs relève avant tout de la responsabilité des partenaires sociaux ».

Après de difficiles négociations, un accord est trouvé le 15 avril 2000 entre l’Etat, les organisations patronales et syndicales (à l’exception de la CGT) sur un « Plan de rebond vers l’emploi ». Le plan combine l’accroissement du nombre des emplois « aidés »  et des possibilités de  formation, des mesures d’accompagnement renforcé des chômeurs en fin de droits ainsi qu’en dernier ressort une aide financière exceptionnelle d’une durée de six mois. Le coût du programme est financé à 62 % par des fonds paritaires (principalement assurance chômage et formation professionnelle continue) et à 38 % par l’Etat. En l’occurrence, on ne peut soutenir que les partenaires sociaux aient renvoyé sur l’Etat la responsabilité de la gestion des outsiders. Il est impossible d’apprécier dans quelle mesure cette orientation résulte de la volonté des partenaires sociaux ou de la pression exercée sur eux par l’Etat.

3. La gestion sociale des restructurations

Il existe deux dispositifs principaux de gestion socialisée des restructurations : les conventions de reclassement personnalisé (CRP), créées par la négociation collective et financées par le régime paritaire d’assurance chômage couvrent une large partie des salariés victimes de licenciements économiques  ; les contrats de transition professionnelle (CTP) sont financés par l’Etat et offrent des prestations plus avantageuses, mais ils sont limités à un petit nombre de bassins d’emploi fortement touchés par des suppressions d’emplois. Les deux dispositifs connaissent des évolutions différentes : l’indemnisation est améliorée pour les CRP, tandis le champ géographique est élargi pour les CTP.

L’éclatement de la crise conduit les négociateurs de l’ANI de décembre 2008 sur l’assurance chômage à y inclure le dossier des CRP. Les syndicats demandent au patronat d’une part, un alignement de la durée et du niveau de l’indemnisation sur ceux des  CTP, d’autre part, des possibilités d’admission en CRP au terme d’un emploi précaire ou après un licenciement non économique. Ils obtiennent des satisfactions sur le premier point. En revanche, ils n’obtiennent rien sur le second point, ce qui a pour conséquence de renforcer, en cas de restructurations, les inégalités de droits entre titulaires de CDI (contrats à durée indéterminée) et salariés en emploi précaire. Pour les CTP, l’impact de la crise se traduit par des adjonctions successives sur la liste des zones géographiques couvertes par le dispositif qui doivent passer de sept à quarante.

Le cas des CRP et des CTP est emblématique de l’ambiguïté d’une réflexion en termes d’insiders et d’outsiders. Les victimes de licenciements économiques sont aujourd’hui majoritairement des hommes travaillant à temps plein dans l’industrie et ayant une ancienneté élevée. Dans la problématique traditionnelle, ils sont typiquement des insiders ou encore des membres de marchés du travail internes. En revanche, ce sont eux qui ont les durées de chômage les plus élevées et les plus fort risques de déclassement en cas de retour à l’emploi. Faut-il ranger les CRP et les CTP parmi les mesures typiques d’un traitement privilégié des insiders ? Ne constituent-ils pas plutôt des dispositifs ciblés sur des catégories particulièrement menacées d’exclusion ?
Dans ce domaine, le partage des responsabilités entre Etat et partenaires sociaux n’obéit à aucune logique. Il est difficile de trouver une justification aux inégalités qui en résultent.

4. Le chômage partiel (ou activité partielle)

Un dispositif qui semblait en voie d’extinction progressive se voit soudain accorder une importance majeure tant par la politique publique que par la négociation collective, les deux modes d’intervention étant étroitement imbriqués. La négociation sur ce sujet naît dans l’urgence, fin 2008, sous la pression des pouvoirs publics. Rapidement, un accord interprofessionnel est signé sous la condition d’un accroissement de la contribution financière de l’Etat. Celui-ci donne aussitôt une réponse positive. Le taux d’indemnisation et la durée d’indemnisations sont augmentés ; les conditions d’accès sont élargies.

En février 2009, c’est le Gouvernement qui prend l’initiative. Il propose une amélioration de l’indemnisation et un accès à la formation dans le cadre d’une « activité partielle de longue durée » (APLD), à condition que le régime paritaire d’assurance chômage assure une part du financement, ce qui est accepté.
Par nature, l’indemnisation du chômage partiel est réservée aux insiders. Cependant, son développement, depuis la fin de 2008, a surtout résulté de l’accroissement des financements publics, même si l’apparition d’une contribution de l’Unédic pour l’APLD introduit un changement qualitatif notable.

Deux enseignements

• L’examen des diagnostics et des dispositifs adoptés face à la crise de l’emploi conduit une nouvelle fois à mettre en cause la pertinence de certaines analyses dualistes du marché du travail, par exemple l’opposition entre insiders et outsiders ou celle entre marché primaire et marché secondaire. Ces problématiques reposent sur une double hypothèse : d’abord, celle d’une forte homogénéité intragroupe s’opposant à une forte hétérogénéité intergroupe, ensuite, celle d’une faible mobilité entre les deux groupes. Si la profondeur de la segmentation des marchés du travail est indiscutable à la lumière de multiples indicateurs, on voit mal où faire passer la frontière qui séparerait deux catégories bien caractérisées. En particulier, la distinction entre CDI et contrats temporaires n’apparaît plus pertinente. De plus, la mobilité, positive ou négative, est devenue intense entre les segments, tandis que les risques de chômage ne s’opposent pas de façon simple .

• Même si l’on acceptait ce dualisme à titre de première approximation grossière, l’expérience des années 2008 et 2009 ne validerait pas l’hypothèse selon laquelle les partenaires sociaux négocieraient des mesures réservées aux insiders et abandonneraient les outsiders à la responsabilité des pouvoirs publics. En pratique, les dossiers sont négociés « à trois » et les financements sont combinés. Le cas des chômeurs en fin de droits en fournit une illustration typique. Plus que l’hypothèse d’un partage hiérarchisé des catégories de salariés ou de chômeurs, c’est celle d’un tripartisme masqué que nous retiendrons. Ceci laisse entière la question de la fonction de préférence implicite de chacun des acteurs et de leur influence respective dans la définition des compromis finalement adoptés.  

Jacques Freyssinet

Professeur émérite (Université Paris 1);Président du Conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi;Membre du Comité editorial d'Insight