Monnet

Discours de Jean Monnet (9 juin 1955)

 

Monnet (9 juin 1955) Après deux ans et demi de présidence à la Haute Autorité de la Communauté du charbon et de l’acier, je quitte Luxembourg où nous avons été si bien reçus et où nous avons bien commencé à travailler. Le nouveau président, monsieur René Mayer, prend sa charge demain et je n’ai pas de doute que ce qui a été commencé voici maintenant deux ans et demi sera continué. Ce qui a été commencé, c’est les États-Unis d’Europe. Je crois qu’il est très important que chacun de vous se rende bien compte de ce que veut dire, pour lui-même et pour ses enfants, dans l’avenir prochain, la création de la Communauté du charbon et de l’acier et des ÉtatsUnis d’Europe. Les États-Unis d’Europe, c’est l’union fédérale des peuples et des pays européens dans un marché de 160 millions de consommateurs. La Communauté du charbon et de l’acier en est le commencement et c’est la seule institution fédérale qui existe en Europe. Récemment, une conférence a réuni à Messine les ministres des Affaires étrangères des six gouvernements et ils ont pris là des résolutions sur ce qu’on appelle la relance européenne. Les décisions finales n’ont pas été encore arrêtées, mais il faut nous rendre compte que c’est déjà un point important que six pays soient d’accord sur les objectifs. Je reviendrai prochainement sur la manière d’atteindre ces objectifs et sur le point de savoir si cette manière conduit vers les États-Unis d’Europe. Je crois que de la création des États-Unis d’Europe, d’un marché commun européen aussi grand que le marché américain, dépend la prospérité des peuples de l’Europe, le bien-être des travailleurs et la solution de nos problèmes. Je ne crois pas que nous puissions résoudre nos problèmes par un effort purement national et l’expérience que nous avons faite à la Communauté du charbon et de l’acier depuis deux ans nous le montre, et ceci vaut pour tous les pays d’Europe, quels qu’ils soient. Je ne pense pas que les États-Unis d’Europe doivent se limiter à nos six pays. La Communauté du charbon et de l’acier non plus, mais c’est un commencement que nous ne demandons qu’à étendre à tous ceux qui voudront accepter les mêmes règles et les institutions qu’ont acceptées déjà nos six pays. Je crois que c’est en continuant à progresser concrètement que nous déterminerons les solutions techniques des problèmes multiples qui se posent. Ce qui importe, c’est de savoir se déterminer, c’est de décider que nous ne retournerons pas à la Société des Nations et que nous allons dans la direction des États-Unis d’Europe. Il est très important que l’opinion publique comprenne la différence entre ces deux perspectives : l’une est l’avenir, est le progrès. L’autre, le retour aux méthodes du passé dont nous avons connu l’inefficacité et qui ont entraîné la guerre. Je crois que chacun de nous doit s’employer dans son milieu à faire aboutir cette idée. Je crois qu’il n’y a rien de plus important pour notre avenir à tous, pour le progrès social, pour assurer la coexistence pacifique entre l’Est et l’Ouest que d’aller rapidement vers les États-Unis d’Europe. En quittant Luxembourg, je rentre en France et j’ai l’intention bien ferme de continuer du dehors l’action que je me suis efforcé de poursuivre à l’intérieur de la Haute Autorité.

 

Monnet (9 June 1955) After two and a half years as President of the High Authority of the Coal and Steel Community, I leave Luxembourg, where we have been so well received and where we have begun to work well.  The new president, Mr. René Mayer, will take office tomorrow and I have no doubt tha Monnet (9 June 1955) After two and a half years as President of the High Authority of the Coal and Steel Community, I leave Luxembourg, where we have been so well received and where we have begun to work well.  The new president, Mr. René Mayer, will take office tomorrow and I have no doubt that what was started two and a half years ago will be continued. What has been started is the United States of Europe.  I think it is very important for each of you to be well aware of what the creation of the Coal and Steel Community and the United States of Europe mean for yourself and your children in the near future. The United States of Europe is the federal union of European peoples and countries in a market of 160 million consumers. The Coal and Steel Community is the beginning  of this and is the only federal institution in Europe.  Recently, a conference in Messina brought together the foreign ministers of the six governments and they adopted resolutions there on the so-called European revival. The final decisions have not yet been taken, but we must realise that it is already an important point that six countries agree on the objectives. I will come back shortly to how to achieve these objectives and whether this leads to the United States of Europe. I believe that the creation of the United States of Europe, a common European market as large as the American market, depends on the prosperity of the peoples of Europe, the well-being of the workers and the solution of our problems. I do not believe that we can solve our problems by a purely national effort, and the experience we have had in the Coal and Steel Community over the last two years shows us this, and this applies to all the countries of Europe, whatever they may be. I do not think that the United States of Europe should be limited to our six countries.  Neither does the Coal and Steel Community, but this is a beginning that we are only asking to extend to all those who want to accept the same rules and institutions that our six countries have already accepted. I believe that it is by continuing to make concrete progress that we will determine the technical solutions to the multiple problems that arise. What is important is to know how to determine, it is to decide that we will not return to the League of Nations and that we are going in the direction of the United States of Europe. It is very important for public opinion to understand the difference between these two perspectives: one is the future, is progress. The other, the return to the methods of the past, the ineffectiveness of which we have experienced and which led to war. I believe that each of us must work in our community to bring this idea to fruition. I believe that there is nothing more important for the future of all of us, for social progress, for ensuring peaceful coexistence between East and West than to move quickly towards the United States of Europe. On leaving Luxembourg, I returned to France and I had firm intention of continuing from the outside the action which I had tried to pursue within the High Authority.