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Partage du temps de travail et salaire minimum: le différant rôle du syndicat e due gouvernent dans le cadre d'un tripartisme informel.
Tirant les enseignements de son passé, l’Allemagne fédérale a adopté après la Seconde Guerre mondiale un principe constitutionnel de stricte séparation entre les responsabilités de l’Etat et celles de la négociation collective ; cette dernière relève de la pleine autonomie des partenaires sociaux. Par ailleurs, il n’existe pas de négociation collective intersectorielle. Les possibilités d’un tripartisme institutionnalisé sont donc réduites. Les tentatives en ce sens ont toutes abouti à des échecs.
Les responsabilités semblent donc clairement partagées : le gouvernement se borne à recueillir des avis et à rechercher des appuis sur le contenu de sa politique économique et sociale, tandis qu’il s’interdit d’intervenir dans la négociation collective. Cependant, l’examen de deux questions qui ont occupé une place centrale dans la gestion des conséquences de la crise sur l’emploi (le partage du temps de travail et le salaire minimum) révèle des imbrications et des complémentarités bien plus complexes
Le partage du temps de travail
Pour des raisons différentes, le gouvernement, le patronat et les syndicats se trouvent d’accord, dès l’éclatement de la crise économique, pour un mode de gestion de l’emploi qui garantisse au maximum la stabilité du noyau qualifié du salariat. Les entreprises utilisent d’abord les outils de flexibilité externe : blocage de l’embauche, interruption des missions d’intérim et non renouvellement des CDD (Contrat a durée déterminée), non recrutement des apprentis en fin de contrat d’apprentissage. Ensuite, pour les salariés en CDI de droit commun, le partage du travail est pratiqué à grande échelle selon trois modalités principales qui révèlent des combinaisons différentes entre normes publiques et normes négociées.
- De longue date, la négociation collective a favorisé le développement de comptes de temps de travail (Arbeitzeitkonten), analogues à nos comptes épargne-temps. La phase d’expansion qui a précédé la crise avait fait que ces comptes étaient massivement créditeurs au bénéfice des salariés. La liquidation des crédits a fourni un premier instrument immédiat de réduction de la durée effective du travail. Il s’agit apparemment d’un mécanisme purement conventionnel, mais la liquidation des crédits était, dans un premier temps, une condition préalable à l’indemnisation du chômage partiel, ce qui créait une contrainte publique sur la gestion des comptes.
- De longue date également, l’Allemagne possédait un dispositif d’indemnisation du chômage partiel (Kurzarbeit). Jusqu’alors principalement utilisé pour faire face aux fluctuations saisonnières et conjoncturelles de l’activité, il n’avait été mis en œuvre à une grande échelle que pour les nouveaux Länder dans la première phase de la réunification. Cet instrument est utilisé massivement dans la phase la plus aiguë de la récession économique. Les conditions d’accès sont élargies. Le recours est facilité et rendu moins coûteux pour les entreprises. Des aides financières encouragent son utilisation pour la formation La durée maximale passe de 6 mois à 12, 18, puis 24 mois ; les effectifs concernés atteignent un maximum de 1,5 million en mai 2009. Il s’agit d’un dispositif purement public régi par décret ; il est mis en œuvre par le service public de l’emploi (Bundesagentur für Arbeit) qui instruit les demandes des entreprises. Cependant les acteurs sociaux ne sont pas absents. En premier lieu, l’entreprise ne peut utiliser le chômage partiel qu’avec l’accord du Betriebsrat (Comité d'entreprise) dans le cadre des droits de codétermination. En second lieu, de nombreuses conventions collectives traitent de la question, soit pour préciser les conditions d’utilisation du dispositif, soit pour améliorer le niveau d’indemnisation des salariés. Sans qu’existent des institutions ou des accords tripartites, le Kurzarbeit apparaît, selon l’expression de Steffen Lehndorff, comme l’illustration majeure d’un tripartisme informel en Allemagne face à la crise.
- La troisième composante de la politique de partage du travail repose, comme la première, sur la négociation collective. Depuis l’accord fondateur de Volkswagen en 1993, des nombreuses conventions collectives, de branche ou d’entreprise prévoient la variabilité du temps de travail en fonction du niveau d’activité. Elles ont été utilisées en l’état face à la récession , mais celle-ci a, de plus, été à l’origine de négociations portant sur des dispositions plus complexes. Ainsi, les conventions signées en février 2010 pour les industries métallurgiques et électriques du Bade-Wurtemberg et de la Rhénanie du Nord-Westphalie ont elles servi d’accords pilotes pour de nombreuses autres négociations (Planet Labor, 2010). L’objectif est d’articuler le recours successif au Kurzarbeit public puis, si nécessaire, à un Kurzarbeit négocié et/ou à une réduction temporaire de la durée hebdomadaire du travail avec compensation salariale partielle. Par ce moyen, une certaine garantie d’emploi est assurée aux salariés en chômage partiel.
Ainsi, un consensus affiché entre les trois parties sur une stratégie de partage du temps de travail pour sauvegarder les emplois stables est-elle mise en œuvre au moyen d’un complexe édifice normatif qui juxtapose et articule des normes publiques générales, des accords de branche régionaux ou des accords d’entreprise et enfin les droits de codétermination exercés par les Betriebsräte.
Le salaire minimum
Les syndicats et le patronat étaient traditionnellement hostiles à l’intervention de l’Etat dans la fixation d’un salaire minimum. Ils entendaient affirmer l’autonomie de la négociation collective en matière de salaires. Les syndicats tenaient, de plus, à ce que les salariés associent la garantie d’un salaire minimum à leur action revendicative et non à la protection de l’Etat. Cependant, dès avant la crise, ils avaient été amenés à changer de position sous le double effet de la restriction du champ couvert par les conventions collectives et du dumping social exercé par les travailleurs détachés par des entreprises étrangères.
En principe, l’Etat peut, de longue date, imposer dans une branche le salaire minimum fixé par la convention collective à la demande des signataires de celle-ci, s’ils représentent plus de 50 % des salariés de la branche et avec l’accord d’un comité paritaire placé auprès du ministère du Travail. Pour les raisons indiquées plus haut, cette possibilité n’avait été que faiblement utilisée ; plus récemment, l’organisation patronale avait adopté, dans le cadre du comité paritaire, une position de blocage des demandes. Pour la contourner, le gouvernement a modifié la législation sur les travailleurs détachés adoptée dans le cadre de la directive européenne. Il est désormais possible au ministre du Travail d’imposer dans ce cadre pour tous les salariés d’une branche (y compris les travailleurs détachés) le salaire minimum fixé par convention collective.
La crise économique a amplifié la pression syndicale pour l’introduction s’un salaire minimum dans les secteurs à bas salaires. Les risques associés à l’ouverture totale du marché du travail allemand, qui interviendra le 1er mai 2011, ont aussi entraîné une évolution des positions de certaines organisations patronales et des partis politiques de l’actuelle majorité. Alors que le précédent gouvernement de grande coalition avait introduit le salaire minimum dans de nouveaux secteurs, l’opposition du parti libéral faisait prévoir un blocage du processus par le nouveau gouvernement. Tel n’a pas été le cas et de nouvelles extensions ont été engagées ou réalisées, par exemple dans le secteur de l’intérim et celui des services de soins aux personnes.
C’est donc la norme publique impérative qui est mobilisée, contrairement aux traditions nationales, pour faire face au problème né de la perte partielle d’effectivité des normes fixées par la négociation collective dans le nouveau contexte juridique de l’Union européenne.
Derrière le principe d’un strict partage des tâches entre la loi et l’accord collectif, garanti par les lois constitutionnelles, la gestion de la crise économique a mis en évidence, plus fortement que dans le passé, l’imbrication des modes de production des normes et de mise en œuvre des dispositifs. Dans deux domaines clés, le partage du travail et le salaire minimum, c’est l’articulation des normes publiques et des normes négociées qui a permis des innovations majeures dans la régulation de la relation d’emploi. L’abandon du tripartisme officiel, depuis le décès de la Bündnis für Arbeit (L'Alliance pour le travail), a laissé place à un tripartisme informel et pragmatique qui a démontré son efficacité.